L’avocat devant le Conseil constitutionnel

01 février 2017

C’est dans la salle du Conseil constitutionnel qui portait le nom emblématique de Jeanne CHAUVIN, première femme admise à plaider en 1907, que s’est déroulée le mardi 25 mai 2010 la première audience du Conseil constitutionnel. Ce jour-là, trois avocats aux Conseils en robe, deux en demande, Mes. A. LYON-CAEN et F.H BRIARD, auteurs des deux premières QPC de l’histoire juridictionnelle française et un en défense, Me. J.F BOUTET, se présentaient pour un débat qui n’avait jamais eu lieu auparavant. Messieurs GISCARD D’ESTAING et CHIRAC, anciens présidents de la République étaient présents, avec les membres désignés du Conseil constitutionnel, qui était présidé par Jean-Louis DEBRE. L’ambiance était à la fois feutrée, solennelle et remplie d’émotion. Pour la première fois, hormis de rares affaires de contentieux électoral où des avocats avaient parfois été admis à prononcer quelques mots en catimini, des avocats pouvaient produire des écritures et plaider dans l’aile Montpensier du Palais Royal, ancien Palais-Cardinal. Depuis ce jour, 600 QPC auront été examinées, toutes plaidées par des avocats. Quelle est la place de l’avocat dans la procédure de question prioritaire de constitutionnalité ? Quel est l’avenir de l’avocat dans le contentieux constitutionnel ? Autant de questions qui méritent un examen attentif, dans la mémoire des avocats qui ont été membres et Présidents du Conseil constitutionnel, et notamment de Robert BADINTER, Roland DUMAS et Francis MOLLET-VIEVILLE.

Chacun a en mémoire la proposition promue par le Barreau de PARIS en avril 2016 tendant à faire inscrire dans l’article 66 de la Constitution de la Vème République le droit de tout justiciable à bénéficier des droits de la défense : « Toute personne a droit à l’assistance d’un avocat pour assurer la défense de ses droits et libertés ». Ecarté par la Commission des lois de l’Assemblée nationale, ce texte demeure dans les cartons des avocats, qui rejoignent pour la plupart la position affirmée par le Bâtonnier SICARD : « Quel pauvre pays que celui qui ne tiendrait pas compte de sept siècles de droits de la défense ». Il est exact que la place de l’avocat dans le procès n’a jusqu’à ce jour reçu en France aucune consécration constitutionnelle comparable à ce qui existe dans d’autres pays de tradition démocratique tels que les Etats-Unis (le Sixième Amendement à la Constitution de 1787 garantit en matière pénale le droit d’être assisté par un conseil pour l’exercice des droits de la défense). Et il est permis de regretter que cette avancée n’ait pas été réalisée à l’occasion de la réforme constitutionnelle de 2008. Pourtant, les droits de la défense sont garantis par l’article 16 de la Déclaration de 1789 (Décision n°206-551 QPC du 6 juillet 2016, point 7). Et en matière de QPC, l’avocat n’est pas absent du cadre juridique applicable. L’article  61-1 de la Constitution tout d’abord, dans la mesure où il lie étroitement la présentation de la QPC à l’existence d’une « instance en cours devant une juridiction », consacre implicitement le rôle des avocats qui disposent en France, sauf exception, du monopole de la représentation et de l’assistance en justice (loi du 31 décembre 1971).

Ensuite, si la loi organique du 10 décembre 2009 ne place pas expressément l’avocat au cœur du dispositif, elle en fait néanmoins un acteur essentiel dans la mesure où  la QPC, qui ne peut être relevée d’office, doit nécessairement être rédigée par un professionnel du droit qui seul peut concevoir le ou les moyens d’inconstitutionnalité exposés dans un écrit distinct et motivé (articles 23-1 et 23-5). Enfin, c’est surtout le règlement intérieur du Conseil constitutionnel sur la procédure suivie pour les questions prioritaires de constitutionnalité qui fait de l’avocat (aux Conseils ou aux Cours et tribunaux) un acteur central du dispositif. La représentation est certes facultative et les parties peuvent désigner la personne de leur choix pour les assister ou les représenter. Mais dans la pratique, l’avocat est le représentant des parties et le rédacteur des mémoires ; il est en tout état de cause le seul, eu égard à l’exigence de dignité et de sérénité des débats, à pouvoir présenter des observations orales à l’audience, hormis les agents désignés par les autorités publiques (article 10). La distance à parcourir semble encore longue pour que s’établisse un dialogue réel, actif et dense entre les membres du Conseil constitutionnel et les avocats, comparable à ce qui existe devant la Cour suprême des Etats-Unis, pionnière du contrôle de constitutionnalité a posteriori et championne des débats constitutionnels vifs et animés(voir en ce sens : François-Henri BRIARD La Cour suprême des Etats-Unis d’Amérique et le procès équitable, in Mélanges en l’honneur de  PACTET). Mais l’avocat français dispose déjà devant le Conseil constitutionnel d’une salle, d’un pupitre, d’un temps de parole et de son nom dans la décision… Et depuis la présidence de Laurent Fabius, il peut être conduit à répondre aux questions des membres. Puissent les années qui viennent renforcer encore la place de la défense dans le débat constitutionnel. Car la QPC est d’abord le fruit de l’imagination de l’avocat et sa responsabilité; c’est à lui et à lui seul qu’appartient la lourde tâche de penser, de bâtir et de plaider les moyens d’inconstitutionnalité, pour la défense du justiciable et pour les progrès de l’Etat de droit.

François-Henri BRIARD

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