Arrêté anti-burkini suspendu : une décision sage et mesurée

Le Cercle des Echos, 28 août 2016

Le Conseil d’Etat s’est prononcé vendredi 26 août contre l’arrêté « anti-burkini » de Villeneuve-Loubet. Cette décision permet de sauvegarder plusieurs libertés fondamentales sans fermer la porte à d’éventuelles mesures d’interdiction de ce vêtement.

« La liberté est la règle, la restriction de police l’exception ». Le maire de Villeneuve-Loubet (Alpes-Maritimes) et ses services auraient été bien avisés, avant de tenter de réglementer le port du burkini, de relire les conclusions du Commissaire du gouvernement Corneille dans l’affaire Baldy (CE 10 août 1917). Ils auraient peut-être alors évité le désaveu que vient de leur infliger le Conseil d’État statuant en référé-liberté. En effet, il s’est prononcé vendredi 26 août contre l’arrêté « anti-burkini » de Villeneuve-Loubet.  Porter ce vêtement à la plage n’est donc plus interdit dans cette commune.

Les prémisses de cette affaire n’étaient guère favorables à une victoire des pourfendeurs de ce vêtement de plage et de baignade qui défraye la chronique estivale et dont l’interdiction suscite la curiosité du monde entier . L’arrêté du maire de Villeneuve-Loubet du 5 août 2016 comportait une motivation déplorable, en l’absence de toute référence à des troubles réels à l’ordre public ; il procédait à une combinaison étrange de considérations sur la sécurité, « les bonnes mœurs » (?) et l’hygiène, et comportait une erreur de droit majeure sur le principe de laïcité, qui est bien sûr étranger à la société civile, libre par nature, et qui ne concerne que les pouvoirs publics.

Cet arrêté était de plus intervenu dans le cadre juridique relativement contraignant relatif aux pouvoirs de police du maire, qui ne peuvent s’exercer que pour des motifs précis liés aux nécessités du maintien de l’ordre public, moyennant de surcroît la mise en œuvre de paramètres d’adaptation, de nécessité et de proportionnalité, afin d’assurer le respect des libertés fondamentales. Enfin, la commune en cause avait expressément admis qu’elle entendait non pas maintenir l’ordre public, mais interdire le port de tenues manifestant de manière ostensible une appartenance religieuse. Dans un tel contexte, la défaite était plus qu’une probabilité.

Une décision protectrice des libertés publiques

L’ordonnance du Conseil d’État est claire : elle censure l’atteinte grave et manifestement illégale à trois libertés fondamentales, la liberté d’aller et de venir, la liberté de conscience et la liberté personnelle, dans des circonstances où un maire était incapable de justifier de l’existence de troubles avérés à l’ordre public. Ce faisant, le Conseil d’État a fait application d’une jurisprudence classique, exigeante et ancienne, qui limite les pouvoirs de police des maires en leur imposant une approche de proportionnalité et le respect des libertés fondamentales.

En creux, cette décision comporte aussi un message important sur l’ordre public : même conçu de façon large, celui-ci doit rester l’ordre public matériel (sécurité, tranquillité, salubrité…). Le trouble social ou les considérations morales sont étrangers à l’ordre public. Ainsi, l’émotion et les inquiétudes liées aux attentats terroristes ne caractérisent pas un trouble suffisant à l’ordre public. Cette approche est conforme aux exigences de la Convention européenne des droits de l’homme.

Une interdiction temporaire ?

L’ordonnance laisse néanmoins deux questions ouvertes : le burkini est-il un signe d’appartenance religieuse ? Aucune prise de position n’était sans doute nécessaire sur ce point pour l’instant. Le port du burkini pourrait-il être regardé, en présence d’un arrêté municipal correctement motivé sur ce fondement, comme un trouble grave et suffisant à l’ordre public non matériel, comme le législateur l’a estimé de la dissimulation du visage, par référence à la volonté de vivre ensemble ou aux exigences minimales de la vie en société ? Ces deux aspects feront sans doute encore l’objet de débats.

Enfin, l’ordonnance n’exclut nullement que le port du burkini soit légalement interdit dans des circonstances de temps et de lieu qui caractériseraient de véritables troubles à l’ordre public. Mais encore faudrait-il que ces circonstances révèlent une situation où une atteinte aux libertés fondamentales précitées pourrait être légalement portée, par une interdiction nécessaire, adaptée et proportionnée.

On peut notamment penser à une interdiction temporaire du burkini, limitée à un territoire déterminé, et si la preuve pouvait être apportée de troubles avérés à l’ordre public, nés du port de ce vêtement (rixes, violences dans l’espace public, atteintes aux personnes et aux biens, etc.). Une fois encore, le Conseil d’État a manifesté avec éclat son sens de la mesure et sa vocation de gardien vigilant des libertés publiques.

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François-Henri BRIARD

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