Fight against corruption in France: a new bill (Loi Sapin II) strengthens obligations for businesses

Journal Spécial des Sociétés, 03 May 2017

Cercle France-Amériques, 28 mars 2017 – Article paru dans le Journal Spécial des Sociétés le 3 mai 2017

Photo : François-Henri Briard, Jean Maïa et Thierry Dal Farra

François-Henri Briard, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, Thierry Dal Farra, avocat à la cour et Jean Maïa, directeur des affaires juridiques du ministère de l’Économie et des Finances, ont débattu des méthodes de gestion éthique à mettre en place pour l’été 2077 dans les sociétés. Leurs propos tendent à éclairer le titre premier de la loi n° 2076-7697 du 9 décembre 2076.

François-Henri Briard a entamé le débat par la lecture d’un passage du discours sur la vertu de Jean-Denis Bredin à l’Académie française. Des propos visionnaires tenus le 4 décembre 1997 : « alors se produisit l’événement dont ce premier siècle du troisième millénaire gardera le souvenir, car toutes les télévisions du monde en rendirent compte, et cinquante essais furent publiés dans les dix jours qui suivirent, soucieux d’informer tous ceux qui savaient lire. Une femme très jeune, très belle et seulement vêtue d’un long voile s’avança. Elle avait le regard limpide, ses mains semblaient de cristal, sa démarche était si claire, si évidente, son allure tant rayonnante que la compagnie toute entière se leva. Superbement dressée, cette femme prit la parole, et sa voix fut aussi pure que ses mots.

– Je suis la transparence, dit-elle. La seule vertu de ce temps et de ceux qui viendront. Je prie la discrétion, la réserve, la pudeur, le respect de bien vouloir se retirer car leur temps est passé ».

La loi Sapin II s’attache à la prévention d’infractions pénales. Elle contraint les entreprises à adopter des règles pour se mettre à l’abri de toute sanction. L’article 17, en particulier, oblige l’entreprise au respect, à l’actualisation, au contrôle de règles qui la garantiront contre tout risque pénal. Le législateur invite les entreprises à se doter de normes intermédiaires. Si celles- ci se bornent à répéter la loi. Elles expliqueront qu’il ne faut ni corrompre, ni commettre de trafic d’influence, ni rémunérer des intermédiaires à cette fin. Dans ce cas-là, l’objectif de la loi aura été manqué. Si, à l’inverse, elles créent des obligations exagérément contraignantes, des obstacles, alors ses propres normes pourront engendrer des sanctions contre l’entreprise pour avoir méconnu le cadre qu’elle s’est imposé à elle-même. Là, repose tout l’enjeu de la définition des règles intermédiaires. L’optimisation de leur adoption suppose la mise en place d’un groupe coordonné de travail qui implique la direction et les ressources humaines. Le code éthique, thème phare de la loi Sapin II, spécifiquement dédié à la prévention de la corruption et du trafic d’influence, va s’intégrer au règlement  intérieur sous la forme d’un chapitre. L’intervention de la direction des ressources humaines est donc indispensable, de même que celle de la direction juridique. Les principaux métiers de l’entreprise doivent aussi être représentés parce que la définition de ces normes intermédiaires peut être délétère quand elle se montre restrictive à l’excès vis-à-vis d’un de ces métiers.

La loi s’appliquera en juin. D’ici là, les entreprises auront dû passer par les institutions représentatives du personnel.

Extrait de l’article 17 : « Un Code de conduite définissant et illustrant les différents types de comportements à proscrire comme étant susceptibles de caractériser des faits de corruption ou de trafic d’influence ». Le Code de conduite, tous les éléments qui en découlent (cartographie des risques, procédure d’alerte, etc.) liés à la corruption et au trafic d’influence ne vont concerner que ces deux infractions. Dans le Code pénal, la corruption et le trafic d’influence représentent une vingtaine d’infractions. Il existe une corruption privée passive pour une société face à ses sous- traitants ou fournisseurs, comme pour l’acheteur public. La corruption peut être commise à l’étranger par des Français. Les activités à l’étranger sont répréhensibles en France. Les codes éthiques doivent impérativement en tenir compte. Le Code de conduite doit se conformer aux éléments matériels de ces infractions pénales d’interprétation stricte. La prise illégale d’intérêts et le favoritisme ne sont pas dans le périmètre.

La loi confie à l’Agence française anticorruption (AFAC) le soin d’élaborer des recommandations à l’intention des personnes morales publiques ou privées.

Le champ d’application couvre trois catégories de personnes morales. Celles qui emploient au moins 500 salariés ou appartiennent à un groupe dont la société mère a son siège social en France, et dont l’effectif comprend au moins 500 salariés avec un chiffre d’affaires ou un chiffre d’affaires consolidé supérieur ou égal à 100 millions d’euros idem pour les sociétés anonymes et les établissements publics à caractère industriel et commercial. Si une société mère et ses filiales consolidées représentent plus de 500 salariés et 100 millions d’euros, elle doit prendre des dispositions et les appliquer à toutes ses filiales, même si ces dernières n’atteignent pas les seuils. Les filiales de société mère implantées à l’étranger qui franchissent les seuils entrent dans le champ d’application de la loi.

La mise en œuvre des articles 6 et suivants de la loi Sapin II relatifs aux lanceurs d’alerte sera précisée par un décret d’ici à la fin du mois d’avril. Il spécifiera la manière dont les personnes publiques et privées vont établir un mécanisme de requête des alertes. Le législateur a opté pour que le premier canal d’alerte soit le supérieur hiérarchique direct ou indirect, ou encore, un référent désigné par l’employeur. Il s’agit là d’une voie initiale. En l’absence de diligence de ce premier moyen, le lanceur d’alerte est fondé à se tourner vers les autorités judiciaire, administrative, les ordres professionnels et, en dernier ressort, à rendre public le signalement. Cependant, en cas de danger grave et imminent ou en présence d’un risque de dommages irréversibles, l’alerte peut être adressée directement aux organismes judiciaires, administratifs, ou rendue publique. Le but de la loi est de responsabiliser les organisations publiques et privées, et donc de les intéresser au traitement des alertes. Le statut général de protection des lanceurs d’alerte vise à spécifier dans quelles hypothèses un lanceur d’alerte qui divulgue des informations protégées par le secret est à l’abri de poursuites pénales. L’article 8 impose aux lanceurs d’alerte une contrainte forte. Ils ne peuvent pas aller directement sur la place publique divulguer des secrets. Ils ont vocation à rechercher, d’abord au sein de l’organisation, le canal de traitement standard, sauf gravité extrême.

Il existe une différence entre l’alerte générale à l’article 8 et l’organisation d’un dispositif d’alerte au sens de l’article 17. Dans l’article 17, outre l’organisation d’un dispositif d’alerte, il convient de prévoir un recueil d’informations. L’entreprise doit montrer qu’elle donne un statut à son lanceur d’alerte, mais encore, qu’elle met en place pour ses membres un système interne de circulation de l’information  suffisant.

La loi n’oblige pas, a priori, la création d’un nouveau régime disciplinaire, pour peu qu’un dispositif antérieur déjà en place ait la même portée en cas de violation du Code de conduite. Le Code peut simplement mentionner son existence. Bien que la loi ne définisse pas la sévérité des sanctions, celles-ci doivent être effectives. Dès lors que le Code de conduite est intégré au règlement intérieur, ses règles fonctionnent comme toutes les dispositions du règlement intérieur.

L’exercice est juridiquement bien balisé pour aboutir à une rédaction, mais pratiquement, il demeure une confusion opérationnelle. Quid des politiques cadeaux, voyages ? Doit-on abandonner les restaurants, les manifestations sportives ? La traduction technique du « faire ou ne pas faire » pour le mois de juin demande un accompagnement bienveillant de la part de l’AFAC, afin de donner aux sociétés privées le temps de s’adapter. Le même problème se pose pour les entités publiques.

La Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) contrôlera les nouvelles obligation des activités de lobbying (article 25). La loi prohibe les cadeaux significatifs auprès des responsables publics. La HATVP aura donc à établir une doctrine sur ce thème, ce qui ne sera évidemment pas immédiat. La cartographie des risques de corruption (article 17) sera propre à chaque entreprise et à ses métiers. Elle variera aussi selon les pays d’implantation. D’une région à l’autre, les secteurs d’activité touchés par la corruption et le trafic d’influence changent selon les pouvoirs locaux, les circonstances politiques, les traditions culturelles, etc. La cartographie associera les dimensions métiers, géographie, matériel, et sera actualisée. Elle invite à une vigilance objective adéquate dans l’espace. Elle n’influence pas la norme, mais le niveau de contrôle à appliquer dans les différents contextes où elle prend effet. Le Code de conduite, lui, décrit, dans une règle générale, les comportements prohibés quel que soit l’endroit. Formuler cette unique règle à la pertinence universelle s’avère être un exercice délicat dans un univers multifacette.

La France était, jusqu’à présent, regardée comme un pays assez défaillant en termes de lutte contre la corruption, en particulier par l’OCDE. De plus, les entreprises françaises saisies pour des faits de corruption, l’étaient plutôt à l’étranger. Les actions du Departement of justice de Washington contre de grandes sociétés françaises, impliquant des menaces pécuniaires colossales, menaient au même constat. D’où la réflexion qui a mené, pour partie, à cette loi.

En dehors des obligations à but préventif, d’autres mesures présentent un intérêt pour la protection des entreprises. Par exemple, la convention judiciaire d’intérêt public (article 22) permet au parquet, durant la poursuite de ce type d’infraction, de trouver avec l’entreprise un mode de règlement comme en voit dans les pays anglo-saxons. Les normes internationales comptent la convention des Nations unies de lutte contre la corruption, le dispositif OCDE. De nombreux pays sont assujettis à des contraintes qui dépassent leur souveraineté. La France a donc fait un effort pour construire, à l’échelle nationale, un paradigme qui aide les dirigeants à se préparer dans ce domaine. La loi Sapin II n’a pas créé de nouvelle interdiction. Elle impose un mécanisme de contrôle salvateur. C’est l’occasion, pour de grands groupes, de prendre connaissance de leurs propres pratiques et d’en faire un audit. La loi les place face à un devoir de savoir plutôt que de rester otages potentiels d’opérationnels filialisés, dérivant progressivement, qui exposent l’entreprise à des sanctions  globales.

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