Государственный Совет Франции, верховенство права и налоговые судебные разбирательства

Journal spécial des sociétés, 20 октября 2017

L’interview de l’avocat Nicolas Duboille au journal Gestion de Fortune, consacrée à l’Etat de droit en matière fiscale prêterait à sourire si elle ne contenait pas, au-delà des rodomontades et des fariboles qu’elle exprime, une grave mise en cause du Conseil d’Etat statuant au contentieux, sinon de véritables injures qui ne peuvent demeurer sans réponse. C’est un avocat, qui est depuis 30 ans la voix de la défense indépendante et libre, qui tient à formuler à cet égard quelques mises au point indispensables.

Le Conseil d’État et plus largement la juridiction administrative seraient composés de membres incompétents qui statuent en opportunité, ne connaissent pas grand-chose à la fiscalité:  juridiction suprême de l’ordre administratif français, héritier d’une histoire illustre et artisan bi-séculaire d’une jurisprudence exceptionnellement riche, qui est à la fois protectrice des libertés fondamentales  et attentive à l’intérêt général, le Conseil d’État statuant au contentieux est une juridiction indépendante et impartiale ; il est le sommet de l’ordre de la juridiction administrative, dont la place a été consacrée par le Conseil constitutionnel au titre des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République. C’est à lui, et à lui seul, que les Français doivent la soumission de la puissance publique au principe de légalité et la protection de la séparation des pouvoirs s’agissant du contrôle de l’action publique. C’est bien mal connaître les membres du Conseil d’État que de prétendre qu’ils seraient des énarques peu soucieux de la garantie des droits, des règles essentielles du procès et des situations individuelles. Tout avocat pratiquant sa profession devant la juridiction du Palais Royal sait au contraire qu’y règnent un sens du débat et une indépendance d’esprit peu communs, ainsi qu’une attention particulière portée au justiciable. Dans le cadre de la procédure contradictoire, une large place est faite aux droits de la défense, et l’oralité des débats s’est considérablement accrue ces dernières années. Aucun avocat ne s’est jamais vu refuser de plaider, les conseils des parties peuvent prendre la parole après le rapporteur public (et ils le font fréquemment) et les procédures de référé ont consacré la pratique d’audiences où le débat oral peut durer plusieurs heures, sans parler des enquêtes à la barre qui permettent aussi un échange approfondi avec les parties. Quant à la matière fiscale, la formation intellectuelle des membres du Conseil d’État — issus de l’ENA, école d’une qualité unique du service de la nation, mais aussi d’HEC, ou du monde de l’entreprise grâce au tour extérieur — ainsi que la continuité des compétences internes de la juridiction suprême, les préparent mieux que quiconque à traiter avec compétence des questions fiscales, qui sont aux confins du droit, de la comptabilité et de l’économie. Soutenir à cet égard que le Conseil d’État traiterait mieux les grandes entreprises que les «petits» contribuables est une insulte faite au soin que la juridiction porte au traitement équitable et impartial de tous les dossiers, quelle que soit la situation de fortune du contribuable ou sa place dans l’économie.

Les membres du Conseil d’État seraient des bureaucrates non spécialistes de la fiscalité : l’accusation est indigne. Autant dire que la Cour de cassation ne connait rien au droit civil ou la Cour européenne des droits de l’homme aux libertés individuelles. Quelle est la juridiction qui depuis plus d’un siècle illumine par sa jurisprudence d’une densité remarquable la matière fiscale ? Qui sont ces juristes exceptionnels, quels sont ces noms illustres dont le droit fiscal français s’honore, Marie-Aimée Latournerie, Olivier Fouquet, Jérôme Turot, Christian Schricke, Philippe Martin et tant d’autres qui mériteraient d’être cités ? Qui sont ces commissaires du gouvernement et ces rapporteurs publics qui ont contribué pendant des décennies à forger le droit fiscal ? Vers quels juges se tournent les contribuables pour voir sanctionner la violation de leurs droits ? Quelle juridiction suprême possède un centre de documentation fiscale, pas moins de quatre chambres spécialisées en matière fiscale, une formation de plénière fiscale et rend 1500 arrêts par an en matière fiscale ?

Quelle juridiction suprême n’hésite pas à ébranler des piliers du droit fiscal interne s’ils ne sont pas compatibles avec le droit de l’Union ou le droit conventionnel ? À toutes ces questions une seule réponse : le Conseil d’État et ses membres. Il faut méconnaître gravement le contentieux fiscal pour affirmer péremptoirement le contraire.

La sélection drastique des pourvois en cassation par le Conseil d’État (70% de non-admissions selon l’auteur) serait au service de l’arbitraire et de l’inégalité des armes, à la différence des pays anglo-saxons : là encore, cette affirmation est fausse et tendancieuse. Comme toutes les juridictions suprêmes du monde, le Conseil d’État juge de cassation en matière fiscale sélectionne les pourvois. Il s’agit là d’une procédure indispensable au bon fonctionnement de la juridiction et à la lisibilité de la jurisprudence. Contrairement à ce qui est affirmé, la procédure d’admission est entourée de garanties particulièrement fortes: le contribuable est représenté par un avocat, au moins trois membres de la chambre instruisent le dossier, rapporteur, réviseur et rapporteur public, l’affaire est examinée en séance publique au cours de laquelle l’avocat peut plaider, dans des conditions qui emportent parfois l’admission, et cette même admission ne repose que sur un seul critère : le caractère sérieux du ou des moyens de cassation invoqués. À la différence de nombreuses Cours suprêmes et notamment de la Cour suprême fédérale américaine qui n’admet que moins d’1% des requêtes de façon totalement discrétionnaire, le Conseil d’État ne pratique absolument pas la sélection en opportunité ; son analyse n’est que juridique et elle est pour chaque dossier toujours approfondie. C’est ainsi qu’en 2017, tous contentieux confondus, et malgré une forte augmentation des pourvois en cassation, plus d’un pourvoi sur deux a été admis par le Conseil d’État juge de cassation (56% au 31 août 2017, hors désistements, non-lieu et irrecevabilités).

La sélection des pourvois serait assurée par de jeunes stagiaires irresponsables et sans expérience : cette assertion est outrageante et évidemment inexacte. Comme toutes les juridictions, le Conseil d’État accueille généreusement des stagiaires, dans l’intérêt de ces derniers et par souci d’ouverture à la communauté universitaire. Une soixantaine de stagiaires sont actuellement en fonction. Formés par le Conseil d’État, ils sont tous affectés à des tâches simples d’aide à la décision : recherches, rédaction des visas, mises en forme, etc. Ils ne sont bien évidemment en aucune façon intégrés au processus juridictionnel, qui relève de la seule responsabilité des membres du Conseil d’État appelés à instruire les pourvois.

Les délais de jugements seraient excessifs : là encore, l’affirmation est fausse. La durée moyenne des instances devant les tribunaux administratifs est d’un an et devant les cours administratives d’appel, cette durée est inférieure à une année. Quant aux pourvois en cassation, la procédure d’admission prend rarement plus de six mois, et le règlement des affaires intervient dans un délai moyen de 9 mois.

Ce ne sont pas les pratiques du Conseil d’État qui « dégradent les libertés » (conclusion de l’article susvisé), mais bien les attaques mensongères contre cette juridiction suprême dont la France peut être fière qui en déconsidèrent les auteurs.

François-Henri BRIARD

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